Des bulles et du vin. Rencontre avec Benoist Simmat.
Entretien avec Benoist Simmat, journaliste économique depuis vingt ans, essayiste depuis quinze ans, scénariste de BD-documents depuis dix ans. Il a publié l’année passée, la BD « l’Incroyable histoire du vin, de la préhistoire à nos jours, 10 000 ans d’aventure ». Propos recueillis par Sylvain Ouchikh
Depuis quand vous vous intéressez à l’univers du vin ?
Depuis mon entrée au Journal Du Dimanche, en 2000, où je fus chargé au départ, entre autres, des secteurs agricoles et viticoles. Je suis entré dans le vin par l’économie du vin, absolument pas par la dégustation ou par plaisir personnel. Ce secteur, fort d’un héritage culturel immense et faisant vivre un demi-million de personnes en France, m’a semblé dès le départ particulièrement intéressant. J’ai découvert par la suite ses liens avec la gastronomie et, lors de mes voyages à l’étranger, l’extraordinaire réputation de nos vignobles, notamment les vins de Bordeaux et de nos vignerons. Du coup, je n’ai toujours pas épuisé le sujet !
On surnomme la BD, le 9eme Art. Selon vous, pourquoi la surnomme-t-on ainsi ?
Eh bien après le cinéma (7e) et les arts médiatiques (télé/photo, 8e), c’est tout simplement le plus récent des « arts » modernes, art populaire longtemps resté en marge, et qui donc arrive en dernier. Au XXe siècle, la BD, partout dans le monde, était un mode d’expression jugé secondaire, ses maîtres ont mis du temps à émerger. Au XXIe siècle, c’est différent. La BD, le manga, le comics, sont partout : succès en librairie, présence dans les médias, salons qui ne désemplissent pas…
« L’histoire du vin », votre dernière BD, a très souvent été traitée dans les ouvrages. Comment est née l’idée de produire un livre sur ce thème mais en Bande Dessinée ?
Tout simplement parce qu’il n’existait pas de BD ambitieuse embrassant l’extraordinaire et séculaire histoire du vin à travers toute la planète et toutes les civilisations, ce depuis les premiers âges. Cette boisson possède une place particulière dans l’histoire humaine. Toutes les civilisations dominantes ont cherché à intégrer et améliorer la viticulture. Notre idée était de réaliser un ouvrage dessiné dans un format mondial (plus proche des documentaires comics qui existent aux États-Unis) et qui raconte tous les développements du vin à travers les âges.
Selon vous, en quoi la BD apporte-t-elle une vision différente ?
Pour raconter cette histoire « herculéenne », qui s’étale sur « 10.000 ans », il fallait un mode narratif ludique, drôle, informatif sans jamais se perdre dans les détails, et capables de sauter d’une époque à l’autre comme on passe d’une histoire à l’autre : la BD est idéale, cette méga-histoire ne lasse jamais, et son carburant, l’humour, permet de faire passer des infos techniques assez difficiles. Aucun essai ne peut se mesurer à la BD dans ces conditions. D’ailleurs, pour une fois, il s’est passé exactement ce que nous avions imaginé avec notre éditeur, Les Arènes : L’Incroyable histoire du vin s’est vendue à plus de 50.000 exemplaires sur un an avec plusieurs éditions. Le livre sorti est en cours de traduction dans une dizaine de pays dans le monde, dont la Chine, les États-Unis, l’Espagne, la Corée, etc.
Vos premières BD portaient sur les vins de la région de Bordeaux avec un premier ouvrage sur le critique américain Robert Parker. Comment-a-t-il été perçu de la part des viticulteurs bordelais au départ ?
« Robert Parker et les sept péchés capiteux » a crée une grosse surprise en librairie car c’est la première fois qu’une BD francophone prenait le vin pour sujet et dont le héros était un personnage réel mondialement connu. Nous avions voulu dès le départ, avec l’éditeur (12Bis à l’époque) un ouvrage aussi informé qu’irrévérencieux. En France, mais surtout à Bordeaux, c’est vrai, la BD a fait un tabac. On ne parlait que d’elle fin 2010 et début 2011. Les anti-Parker (malgré tout majoritaires en Gironde) adoraient. Les pro-Parker (plus minoritaires mais très actifs) détestaient. Parker lui-même s’est exprimé sur le sujet et s’est montré, je trouve, beau joueur. Bref, nous avons eu la preuve que des BD sur le vin pouvaient cartonner. Depuis, tous les éditeurs ont sorti leur BD vinique !
Quelle est votre perception de la région viticole de Bordeaux ?
Cette région viticole a une grande force : se renouveler sans cesse et se montrer plus innovante que tout le monde, quoiqu’on dise. Bordeaux a inventé le commerce moderne du vin en Europe au Moyen-âge, un peu comme les Grecs en Méditerranée au premier millénaire avant JC. Bordeaux a réinventé les classements (donc les grands crus) contemporains (1855 et ceux, moins connu, qui le précédaient), deux mille ans après ceux de Pline et des Romains. Bordeaux a imposé un style de rouge patiné (à partir du « new french claret » inventé au XVIIe par Arnaud de Pontac à Haut-Brion), et surtout une forme de bouteille de vin (la « Frontignan »), avec sa contenance (75 cl), et son étiquette. C’est Bordeaux qui a fait du vin un produit d’exception dans la mondialisation.