Dix ans après son arrivée en France, retour sur la folle histoire de Coravin, l’outil préféré des amateurs de vin
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Coravin, qui fête ses 10 ans sur le marché français, s'affirme comme un outil plus que jamais dans l'air du temps, à l'heure du boire moins, mais mieux. Rencontre avec son fondateur.
Par Martin Lemaire
Il faut ravaler sa fierté, pour les plus patriotes d’entre nous, mais le constat est imparable : l’innovation la plus marquante de ces dernières années, en termes de consommation de vin, n’est pas française. Elle est américaine. Coravin, né en 2013 et commercialisé un an plus tard sur le marché français, est imaginé tel un outil de savant fou à la fin des années 1990 par son fondateur, ou plutôt son inventeur Greg Lambrecht. Il fait alors à l’époque un constat plutôt avant-gardiste : chaque convive réuni à la même table est en droit d’exiger un vin différent. Tant pis pour les partisans du consensus. Choisir, ce n’est pas renoncer, en tout cas si l’on suit la philosophie de cet ex-ingénieur médical. Une précision qui a son importance, car l’ancêtre de Coravin n’est autre qu’une aiguille servant à injecter la chimiothérapie à des patients atteints de cancers.
L’analogie médicale ne va pas plus loin, mais l’idée est là : pourquoi ne pas se servir de cette aiguille pour extraire le vin d’une bouteille sans avoir à l’ouvrir, et qui peut injecter du gaz pour éviter l’oxydation ?
À l’origine, c’est pour répondre à un besoin personnel que Greg Lambrecht a monté de toutes pièces le premier prototype, encore existant aujourd’hui, mais dont la vue évoque plutôt un instrument de torture ; en tout cas davantage que la perspective bienheureuse de s’aviner gentiment. Son épouse, alors enceinte de son premier enfant en 1999, est privée de vin. La bouteille habituellement descendue sans difficulté par le couple peine à se vider. « Il y a aussi le fait que j’ai commencé à moins boire, mais mieux, donc je consommais des vins plus chers dont je ne pouvais imaginer qu’ils finissent leur vie dans l’évier », retrace-t-il. Coravin est en quelque sorte l’avènement palpable du « boire moins mais mieux », tendance à laquelle est confrontée la filière du vin en 2024. Restait à trouver le gaz idéal pour préserver le vin de l’oxygène sans impacter son goût ni sa texture. L’argon, présent naturellement dans l’atmosphère et inerte, sera l’élu, « car c’est un gaz paresseux, qui ne se dissout pas dans le liquide », explique Greg Lambrecht.
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Voilà plus de 10 ans que Coravin a trouvé sa place dans les foyers des amateurs de vins plutôt aisés – le prix restant malgré tout un frein pour bon nombre de buveurs – et des restaurants ayant à cœur de proposer une offre de vin au verre digne de ce nom à leurs clients. L’entreprise revendique 1,5 million d’exemplaires vendus depuis son lancement et cela ne semble pas près de s’arrêter, quand bien même la consommation de vin baisse. « Les ventes de vin baissent, mais celles de Coravin augmentent ! », se réjouit Greg Lambrecht. En 10 ans, l’entreprise s’est diversifiée, notamment en proposant, depuis le Covid, un système dédié aux vins pétillants, dont le système n’a rien à voir avec l’original. Il s’agit ici d’ouvrir la bouteille, puis de la refermer avec un bouchon spécial et enfin de réinjecter non pas de l’argon, mais du CO2. Une nouvelle technologie qui aura cette fois nécessité l’intervention et l’expertise des Français, les maisons de champagne détenues par LVMH en l’occurrence. Une petite révolution dans le monde des bulles, par essence éphémères, qui impose malgré tout une durée de conservation réduite de quatre semaines, contre plusieurs mois, voire des années pour l’outil consacré aux vins tranquilles.
L’entreprise américaine lance en ce mois d’octobre une édition limitée de son modèle phare, tout de vert, clin d’œil à l’ambition écologique de la démarche, celle de planter un arbre pour chaque exemplaire vendu. Coravin, accueilli laborieusement au départ en France – beaucoup moins, sans surprise, dans le très ouvert d’esprit Nouveau Monde –, fait désormais l’unanimité. Et pour cause, Greg Lambrecht a plus d’un tour dans son sac pour convaincre les sceptiques. Nous avons dégusté un Sauternes « Coraviné » depuis 9 ans avec un plaisir tout à fait intact. Il ne s’agit pourtant pas d’un record, loin de là. Alors qu’il n’était pas encore propriétaire de très beaux flacons, cet homme à la bonne humeur communicative tente l’expérience avec une banale syrah australienne en se servant un premier verre en 2003, alors que Coravin n’en est qu’au stade du prototype.
Vingt ans plus tard, il convoque Jancis Robinson, l’une des critiques de vins les plus influentes dans le monde, pour une expérience un peu spéciale. Ayant préalablement rempli deux verres du même vin, l’un issu de la bouteille entamée en 2003, l’autre ouverte sur le moment, il propose à la journaliste britannique de jouer au jeu des différences. Réponse de l’intéressée : « Aucune différence, les deux sont aussi mauvais l’un que l’autre ! ».
« En partenariat avec Le Figaro Vin »