Interview avec Maximilian Riedel
Représentant la 11ème génération de l'entreprise familiale fondée en 1756, Vintage a rencontré Maximilian J. Riedel lors de sa visite à Bordeaux. Véritable orfèvre de la verrerie, grand passionné de vin et suivi par 525 000 abonnés sur Instagram, ce dernier nous dévoile les subtilités de la dégustation.
Dans l’histoire de Riedel, à quel moment pour vous le vin est-il devenu une passion ?
"Tout d’abord, Riedel est une entreprise familiale, basée en Autriche. Avant la fondation de la verrerie, notre famille travaillait dans le commerce du verre en Bohême, une région de la Tchéquie actuelle. À cette époque, le nom Riedel n’était pas associé au vin.
L'intérêt et la passion de ma famille pour le vin, sont apparus à la fin des années 1960 lorsque mon grand-père, Claus Riedel, a commencé à créer des verres à vin. Pas des verres de décoration, ni de fête, mais des verres destinés à réellement apprécier le vin. C’était la période du style Bauhaus. Le concept de Riedel s’inscrit parfaitement dans ce mouvement qui touchait la mode et le design.
À la génération suivante, au début des années 1980 mon père a découvert Bordeaux. Il s’est fait guider, notamment par Olivier Bernard, qu’il a rencontré pour la première fois en 1986, il me semble. Il a appris ainsi tout ce qui fait Bordeaux : les appellations, bien sûr, la rive gauche et la rive droite, mais également les qualités uniques qui rendent Bordeaux si spécial. J’étais déjà là et j’admirais mon père, sa soif d’apprendre non seulement sur le vin de Bordeaux, mais aussi sur les vins du monde entier. Il cherchait systématiquement des contacts dans les régions viticoles qui produisaient des cépages spécifiques. Il a beaucoup appris grâce à ces personnes à qui nous devons beaucoup, et avec qui nous avons conservé des liens très forts. Il y a par exemple Angelo Gaja pour le cépage nebbiolo, Michael Mondavi pour les vins du nouveau monde. C'était pendant les années 1980-1990 le moment où le vin a acquis la popularité que nous lui connaissons aujourd'hui.
Me concernant, le vin fait partie de mon quotidien. Je me souviens de mon père qui entrait dans sa cave tous les soirs afin de chercher une bouteille pour le dîner. Dans mes souvenirs, le repas en famille était un moment spécial, éclairé aux chandelles, une fête ! Je n'oublierai jamais. C'est dans ces moments chargés d'émotion que j'ai commencé à découvrir et à apprécier le vin. Ces instants sont parsemés de rencontres et de voyages dans les vignobles du monde entier? J'ai attrapé ce "virus" qui me pousse tous les jours à explorer cet univers."
Cela fait partie de votre ADN ?
"Tout à fait. C’est exactement cela. J’ai cette passion dans le sang, que mon père m’a transmise."
Vous souvenez-vous du premier vin que vous avez goûté ?
"Absolument pas, car j’en goûtais tous les jours (rires). Dans ce temps-là, ma famille recevait beaucoup. J’admire les Bordelais qui, aujourd’hui encore, organisent de grands dîners. Vous ne voyez plus ce type de réception ailleurs, mais j’ai grandi dans cette atmosphère. Ma famille invitait sans cesse des journalistes, des vignerons et d’autres convives pour parler de vin autour d’un repas. Je n’ai pas de souvenir précis de ma première expérience du vin, mais je pense à une soirée particulière chez nous avec Christian Moueix. Pour la première fois, nous avons ouvert un Pétrus. C’est ainsi que j’ai débuté ma carrière d’œnophile par "la crème de la crème". Un bon démarrage quand même, qu'en pensez-vous ? (rires)."
Votre passion pour le vin vous a permis de constituer au fil du temps une magnifique cave. Pourriez-vous nous en parler ?
"En effet, j’ai la chance de contempler de très belles bouteilles.
Pour parler de ma cave, tout d'abord, il faut comprendre son atmosphère. J'ai personnellement opté pour la pierre blanche comme à Bordeaux alors que les briques rouges sont plutôt utilisées dans ma région d'origine, l'Autriche. Tout est blanc et clair, c’est très lumineux. Quand mes amis y pénètrent, ils restent bouche bée et me disent : « quelle cave magnifique » ! Pour être franc, je partage aussi ce sentiment (rires)… A chaque fois que j’ouvre la porte de ma cave, je suis ébloui au sens propre et figuré. Je suis transporté par l’atmosphère. C’est quelque chose que j’adore !
Je resterai discret sur sa composition, mais j’ai des flacons du monde entier, et bien sûr des Grands Crus de Bordeaux. Les vins de Bordeaux représentent d’ailleurs 80 % de ma cave. Principalement parce que ce sont mes vins préférés. Je n’ai pas été élevé au biberon de lait, mais au bordeaux (rires). Bordeaux, toujours Bordeaux !
Si je devais racheter aujourd'hui tous les vins que mon père et moi avons collectionné au fil du temps nous ne pourrions plus nous les offrir.
Il y a bien sûr des flacons d’exception, mais comprenez que le vin peut parfois avoir une valeur beaucoup plus importante, je parle d’une valeur affective ; par exemple, j’ai été dans tel ou tel domaine, j’ai vendangé ce millésime, j’ai rencontré ce vigneron… Dans ce cas, la valeur que je donne au vin est différente du coût véritable de la bouteille.
Lorsque je suis dans ma cave… je me sens bien."
"A chaque fois que j’ouvre la porte de ma cave, je suis ébloui au sens propre et figuré. Je suis transporté par l’atmosphère. C’est quelque chose que j’adore !"
Comme un enfant à Noël ?
"Exactement. Parfois, je vais dans ma cave sans prendre de bouteille."
Pour l’atmosphère ?
"Oui, juste pour flâner. C’est un peu comme les personnes qui vont dans leur jardin pour dire
« bonjour » à leurs plantes et s’en occuper. Je viens saluer mes bouteilles (rires).
C’est un peu de la méditation. En réalité, c’est exactement ma définition de ma cave à vin : un lieu familier et rassurant où je peux me détendre. J’ai aussi l’impression que le temps s’arrête."
Aujourd’hui, quelle bouteille ouvririez-vous pour une grande occasion ?
"Tout d’abord, sachez que j’ai la réputation d’ouvrir de grands formats. Je les adore et participe souvent à des ventes aux enchères. Les grands formats sont toujours, en termes de bouteilles, le moyen le plus intéressant d’acquérir des vins prestigieux car, pour une raison ou une autre, les Américains et les Chinois n’en veulent pas. C’est pourquoi ils sont moins prisés. En plus, si vous arrivez avec une bouteille énorme, c’est le succès garanti.
Les gens adorent, et en plus, le vin vieillit beaucoup plus lentement dans un gros format. Pour l’accompagner et le déguster, il vous faut donc un grand nombre d’amis (rires). C’est un cercle vertueux…
Pour un blanc, j’apprécie particulièrement le Domaine de Chevalier, parce que j’ai grandi avec lui… Nous avons gouté notamment hier un excellent 1987. C’était extrêmement intéressant de voir sa capacité à vieillir.
Un liquoreux : Yquem ; Rieussec aussi. Mais mon cœur est partagé, car l’Autriche produit de fabuleux Trockenbeerenauslese. Si je reçois des invités du monde entier, je fais naturellement goûter les vins de mon pays. J’ai grandi avec.
Pour les rouges, je pense naturellement à Pétrus, car j’ai eu la chance en 1997, d’y faire les vendanges avec la famille Moueix. C’était physiquement très difficile. Je tire mon chapeau à toutes les personnes qui font les vendanges, aux saisonniers qui récoltent le raisin, et pas seulement à Bordeaux. Les vendanges à la main sont un moment très spécial, qui vous fait apprécier encore davantage le vin."
Quel verre Riedel recommanderiez-vous pour déguster un Grand Cru de Bordeaux ?
"Après trois générations, les domaines bordelais préfèrent généralement encore utiliser des « petits verres ». Pourquoi ? Je n’en ai aucune idée, j’imagine que c’est une question de logistique. La plupart des salles de dégustation bordelaises utilisent des verres Riedel, mais pas ceux que nous avons conçus spécifiquement pour les Grands Crus de Bordeaux rouges. Les bordeaux rouges peuvent être 100 % merlot ou 100 % cabernet, mais la plupart du temps ce sont des assemblages, avec des cépages aux pellicules très épaisses et très tanniques. Dans mon enfance, les bordeaux titraient à 11 % vol. environ, aujourd’hui ils sont à 14 % vol. Avec ce degré d'alcool actuel, le verre doit être plus grand afin de ne pas amplifier cette sensation et de sublimer l'essence même du vin.
Nous proposons donc effectivement des verres spéciaux pour les Grands Crus rouges de Bordeaux, ce sont les verres Cabernet. Autrefois, on les appelait verres Bordeaux, mais ce nom prêtait à confusion car on ne savait pas s’ils étaient destinés aux vins rouges, blancs ou même aux sauternes.
Je conseille simplement aux amateurs et passionnés de faire le test, comme nous allons faire ensemble aujourd’hui. Il faut goûter avec différent verres Riedel pour réellement ressentir la différence."
Merci pour votre temps et à très bientôt à Bordeaux.
"Merci à vous et au plaisir de partager de beaux flacons ensemble."
Crédit photo : ©Clara Bouineau