Julie Andrieu, fan de Bordeaux, se confie
Ses domaines favoris, son rapport à la viticulture... Julie Andrieu, fan de Bordeaux, se confie. Amoureuse du Bordelais, l’auteur, animatrice et productrice de télévision s’engage pour les vins de sa région d’élection.
LE FIGARO -
Quelle est la genèse de votre amour pour le Bordelais ?
Julie Andrieu : J’ai cherché une maison de campagne pendant dix ans. N’ayant pas vraiment d’attaches régionales, ce fut un prétexte pour parcourir toute la France, de la Bretagne au Luberon. « Les Carnets de Julie » avant l’heure ! C’est finalement en Gironde, dans l’Entre-Deux-Mers que j’ai élu domicile. C’est ici que j’ai appris à découvrir les vins de Bordeaux. Les Grands Crus comme les appellations plus discrètes.
Quel est votre premier souvenir de dégustation mémorable ?
C’est un Château Valandraud (Saint-Émilion) goûté vers 1995. Ce fut une révélation. Il avait une concentration inouïe et une envergure qui m’étaient alors inconnues. Puis, à la même période, le chef bordelais Jean-Marie Amat (disparu en 2018) m’a fait découvrir Château Soutard, un Saint-Emilion Grand Cru, lors d’une dégustation. Inoubliable !
Êtes-vous sensible aux paysages de cette région ?
Le Bordelais est ma région d’élection. J’aime la poésie, le mystère de l’Entre-Deux-Mers. Ses forêts, ses rivières, ses bois, ses églises romanes. Je suis chez moi là-bas. À 8 km de Saint-Émilion, nous ne bénéficions pas de son prestige, ce qui permet à la région de rester sauvage. Les appellations y sont modestes bien qu’on y produise d’excellents vins à prix très abordables. Cette région, c’est ma petite pépite, mais elle est menacée par la crise de la vigne.
Le futur viticole du Bordelais vous préoccupe-t-il ?
Bordeaux a sans doute surproduit. Le revers est sévère. En dehors des grandes appellations, le marché s’est écroulé. Les vignerons sont tous en difficulté. Il faut que le modèle change.
Cultivez-vous de la vigne ?
Je suis en train d’en racheter autour de chez moi. Les vignes sont en fermage, car je n’ai pas l’intention de faire le vin moi-même. C’est un métier à part entière, qui ne s’improvise pas, et les professionnels ne manquent pas dans la région. Mais je veux préserver ces paysages et ces métiers. La crise de la vigne amène les vignerons à arracher ou à abandonner les vignobles, et qui sait ce que ces terres deviendront dans dix ans ? Mon projet est de sanctuariser ces terres agricoles. Peut-être y ferais-je une autre culture si les vignerons de la région ne trouvent plus de débouchés ? Mais je veux à tout prix éviter l’artificialisation.
"Pour un néophyte, je dirais que c’est la région parfaite pour une initiation à la dégustation."
Comment décrire un cru du Bordelais à qui n’en a jamais bu ?
Ce sont des vins qui ont des épaules à l’image de la forme de leurs bouteilles. Je veux dire par là qu’ils ont un style bien à eux, structurés, avec de la longueur, de la complexité, mais ils sont toujours très élégants. Pour un néophyte, je dirais que c’est la région parfaite pour une initiation à la dégustation. J’ajouterais qu’il est essentiel de comprendre les spécificités de la vitrine internationale de la viticulture française, la région viticole la plus connue à l’étranger.
Votre plus belle émotion de dégustatrice ?
Le vin que nous avons servi à notre mariage en 2009, célébré dans l’Entre-Deux-Mers en petit comité : un Château Canon 2000, soyeux, élégant, le bordeaux parfait. Nous l’avions acheté en primeur. Il nous en reste quelques bouteilles. Nous en ouvrons une chaque année religieusement. Le stock s’épuise. Et si on se remariait ? (Rires !)
Blanc ou rouge ?
J’appartiens au camp des rouges ! J’apprécie le vin blanc, mais, en bonne insomniaque, il m’effraie, car il me tient éveillée. Et, comme j’évite de boire de l’alcool au déjeuner, le blanc n’est pas très présent dans ma vie, à regret…
Vins conventionnels, bio, biodynamiques ou nature ? Est-ce important pour vous ?
Beaucoup de viticulteurs se questionnent sur les cépages, osent sortir des incontournables Merlot-Cabernet Sauvignon. D’autres se mettent à faire du bio et de la biodynamie. Ce n’est pas évident dans cette région, avec son climat difficile à dompter. C’est un exercice de rigueur remarquable de leur part. Arriver à produire d’excellents produits avec plus de contraintes tout en gardant à l’esprit la vie du sol à long terme mérite tout notre respect. Mais le bio n’est pas tout, le regard singulier de grands vignerons régénère le Bordelais jusque dans ses appellations modestes. L’arrivée de Stéphane Derenoncourt, célèbre conseiller viticole, a revalorisé ces terroirs un peu relégués au second plan. Sa femme et lui travaillent une dizaine de parcelles en appliquant un regard et un travail propre à chacune. Pour un vin étonnant de vie.
"Sur la rive gauche, Saint-Julien. Et sur la rive droite, Pomerol et Saint-Émilion, évidemment. Ce sont mes appellations de prédilection, car j’ai l’occasion d’y passer du temps."
Quelles sont vos appellations favorites ?
Sur la rive gauche, Saint-Julien. Et sur la rive droite, Pomerol et Saint-Émilion, évidemment. Ce sont mes appellations de prédilection, car j’ai l’occasion d’y passer du temps. D’autres appellations gagnent vraiment à être connues. Toutes regorgent de pépites et n’ont rien à envier à leurs voisines célèbres.
Quelles sont, selon vous, les plus belles architectures de Châteaux ?
J’aime beaucoup le Château Fonréaud dans le Médoc, de style Napoléon III avec une superbe vue ; Les Carmes Haut-Brion (Pessac-Léognan) semble sorti d’un conte de fées ou le Cos D’Estournel (Saint-Estèphe) avec ses airs de palais oriental. À Saint-Émilion, j’aime l’esthétique futuriste du Château La Dominique et celui de Cheval Blanc.
Quel Cru vous a surpris ?
J’ai découvert le Château Mayne du Cros (Graves) grâce à mon amie Charlotte Guignand, qui rédige les pages vins de mon magazine "À croquer !" Leur blanc Mayne du Cros en 2016 est d’un style assez inattendu pour un Graves blanc, alliant bois et fraîcheur. Je le recommande à tout le monde !
"La profession se féminise, c’est une réalité. Il s’en ressent une certaine délicatesse dans l’élaboration des vins de cette région, historiquement réputée plutôt masculine. "
Soutenez-vous les vins élaborés par des femmes ?
La profession se féminise, c’est une réalité. Il s’en ressent une certaine délicatesse dans l’élaboration des vins de cette région, historiquement réputée plutôt masculine. Mais il est surtout très important de soutenir la viticulture en général, car le milieu est en perte de vitesse, boudé par les jeunes générations. Je me désespère de cette mode du spritz qui fait bondir les ventes de prosecco (et pas les meilleurs) au détriment de nos vins français.
Quel est votre dernier coup de cœur ?
C’est Château Le Gay 2004, un pomerol racé et élégant.
Votre dernière découverte ?
Un vin blanc du Sauternais étonnement sec : La Demoiselle de Sigalas 2015.
Rédigé par Isabelle Spaak - Le Figaro