Rencontre avec Alexandre et Philippe de Lur Saluces
"Faire du Sauternes est un travail de bénédictin." A l’occasion de la sortie du superbe livre : « Château de Fargues, la folle ambition des Lur Saluces à Sauternes », Alexandre et Philippe de Lur Saluces répondent aux questions de Vintage. Père et fils dressent un vibrant hommage à leur appellation et vous donnent quelques idées d’accord à l’approche des fêtes de fin d'année.
Bonjour Alexandre, bonjour Philippe, le titre de l’ouvrage consacré au Château de Fargues, parle d’une folle ambition, pourquoi ?
L’ambition est folle dans la sens où la production du Sauternes est basée sur un travail de bénédictin. Si ce vin est extraordinaire c’est qu’il est vendangé tardivement et qu’il nait d’un phénomène paradoxalement négatif que l’on a appelé la pourriture noble. Ce phénomène a été domestiqué et la nature est aidée par un système de vendanges très besogneux, très laborieux qui exige beaucoup de monde pour produire beaucoup moins. Au Château de Fargues, on continue de vendanger grain par grain le raisin idéalement botrytisé. Le rendement est dérisoire : un verre par pied de vigne ! Un jour, mon grand ami Bernard Pivot est venu me rendre visite au château de Fargues. En l’emmenant un matin dans les vignes pendant les vendanges, Bernard s’est étonné qu’une fois arrivé au bout du rang, la récolte versée dans les paniers était toute petite. Il m’a demandé si c’était normal, je lui ai assuré que oui. Il s’est tourné vers les vendangeurs et leur a dit : « Heureusement que vous n’êtes pas payés au poids ! » (rires.) Ce bon mot est resté dans les annales du Château de Fargues et symbolise le sacerdoce que représente la production du Sauternes.
Vous avez la sensation qu’il s’agit de redonner au Sauternes ses lettres de noblesse ?
Alexandre de Lur Saluces : il faut revenir aux origines. Au XIXème siècle, des visiteurs venaient de toute l’Europe pour s’approvisionner en Sauternes. Thomas Jefferson et George Washington sont même venus en personne à Yquem pour acheter ce vin extraordinaire. Toute cette saga mérite d’être racontée. J’estime que nous devons agir pour réhabiliter l’appellation aux yeux du public mais également au niveau des prix. Le prix du Sauternes a considérablement diminué. Mais le plaisir à le boire n'a pas de prix ! L’appellation a retrouvé un dynamisme certain et on voit venir des visiteurs enthousiastes. L’autre jour au château de Fargues, une jeune femme a eu les larmes aux yeux pendant une dégustation tant ce vin a quelque chose de succulent et de séducteur.
"L’autre jour au Château de Fargues, une jeune femme a eu les larmes aux yeux pendant une dégustation tant ce vin a quelque chose de succulent et de séducteur."
Ce livre, c’est donc une manière de rendre hommage à Sauternes, mais aussi un plaidoyer pour que l’appellation soit reconnue à sa juste valeur ?
Philippe de Lur Saluces : Le message du livre est de dire que ce vin a une histoire merveilleuse, qu’il vient d’une propriété superbe et qu’il est très beau et surtout très bon ! Il s’agit de montrer tout l’esthétisme du vin de Fargues, mais aussi de tous les Crus de l'appellation. Il y a également une volonté de décomplexer l’approche du Sauternes et donner envie aux amateurs de l’approcher.
Il commémore aussi une date importante dans l’histoire de votre famille.
Philippe de Lur Saluces : Le Château de Fargues est la propriété de notre famille depuis 1472 ! Cela fait donc 550 ans cette année ! Ce livre c’est donc aussi une superbe manière de fêter cet anniversaire assez spécial.
Que peut-on trouver dans cet ouvrage ?
Philippe de Lur Saluces : Il est composé d’un texte d’Hélène Farnault qui a beaucoup discuté avec le responsable de production du Château de Fargues pour raconter le travail minutieux d’artisanat qu’exige la production de Sauternes et l’histoire du Château. Il y a également des photos magnifiques de François Poincet. Enfin, on y trouve des recettes de grands Chefs comme Guy Savoy, Michel Guérard ou Christophe Bacquié qui proposent des accords mets-vin en fonction des millésimes. Les recettes sont originales et illustrent justement le fait que le Sauternes n’est pas un vin de dessert et qu’il ne doit pas être condamné au roquefort et au foie gras. Mais si ces deux accords fonctionnent.
Justement dans la famille, comment aimez-vous déguster votre Sauternes ?
Tout dépend à qui vous demandez ! Si vous voulez faire plaisir à mon père, vous le servez avec des coquilles Saint Jacques soit en carpaccio, soit snackées avec une sauce crémée. Si vous voulez me faire plaisir, vous le servez avec des ris de veau. Là c’est superbe ! Autrement, le poulet du dimanche fonctionne magnifiquement bien avec un Sauternes. En réalité il y a une multitude d’accords succulents qui sont possibles.