Rencontre avec Fabrice Sommier
"Je ne me souviens pas si c’est moi qui ai adopté le vin, ou le vin qui m’a adopté ." On ne fera pas la liste exhaustive des nombreux prix qui lui ont été remis, mais une chose est sûre : Fabrice Sommier et le vin, c'est une évidence ! Nommé Meilleur Ouvrier de France en Sommellerie en 2007, il nous raconte sa passion, avec humour et humilité. Rencontre.
"J’avais 23 mois quand j’ai effectué ma première « dégustation » Je dis toujours qu’il y a un côté Obélix là-dedans."
A quel moment avez-vous décidé de devenir sommelier ?
Sincèrement, je ne sais pas si j’ai décidé de devenir sommelier. Je ne me souviens pas si c’est moi qui ai adopté le vin, ou le vin qui m’a adopté (rires). Il y a deux personnes auxquelles je pense et qui m’ont mis sur la « voie » :
Mon grand-père : il m’a fait goûter du vin quand j’étais jeune, très jeune... J’avais 23 mois quand j’ai effectué ma première « dégustation » (rires), c’était le 14 juillet 1972. Mes parents étaient partis et mon grand-père, qui avait quelques barriques, m’a fait goûter les vins à la pipette. Je dis toujours qu’il y a un côté Obélix là-dedans.
Ma professeure : j’avais un bon niveau à l’école, et en complément du français, des maths ou de l’histoire, ma professeure me prêtait de temps à autres des bouquins… L’un d'eux parlait du vin. J’ai trouvé cela génial ! Il y a un côté humain dans le vin qui est fabuleux, c’est ce qui m’a plu.
En tous cas, je pense que le vin est une forme de prolongement de moi-même. C’est ma passion.
Pour vous, le vin en 3 mots ?
Bonheur / plaisir / partage
Qu'est-ce-qu'une belle carte des vins ?
Tout d’abord, pour faire une bonne carte des vins, il ne faut pas être égoïste... Il faut la faire pour la clientèle que l’on reçoit, en fonction de la localité où l’on se trouve. Il faut aussi la faire en comprenant la cuisine du Chef. Si tu as un Chef qui fait que des poissons, il sera compliqué de n’avoir que des rouges. Et puis, évidemment, une belle carte des vins ne peut être réalisée qu’avec amour et passion. Parler des vins et une chose, en parler en les ayant goûté en est une autre ! Le client apprécié cela, surtout quand c’est fait avec humilité.
"Bordeaux, c’est avant tout des vins avec une belle couleur, une belle humanité, produits par des vignerons passionnés, fiers de leur terroir."
Quelle est votre relation avec le vignoble de Bordeaux ?
Ma relation avec le vignoble de Bordeaux a toujours été très bonne ; on est toujours très bien reçu. J’ai commencé la restauration en 1984 ; j’ai vendu mes 1ères bouteilles de Bordeaux dans ces années-là... Je me rappelle que ma toute première commande en tant que Sommelier était un Château Beychevelle 70. Originaire du Val de Loire, j’ai été un peu « biberonné » au Cabernet Franc (rires), et quand les clients pouvaient être un peu lassés du Chinon ou du Bourgueil, on les emmenait vers des vins qui avaient une identité aromatique un peu similaire, parfois plus complexe et évoluée… Les Châteaux bordelais.
J’ai une affection et une tendresse particulière pour Bordeaux… Selon moi, Bordeaux, c’est avant tout des vins avec une belle couleur, une belle humanité, produits par des vignerons passionnés, fiers de leur terroir. Et il faut être très respectueux de cela.
Vous avez participé à de nombreux concours, pouvez-vous partager une expérience ou une anecdote qui vous a marquée ?
Je commencerai par une expérience qui m’a fait comprendre que pour savourer la victoire, il faut comprendre et analyser la défaite. En 2004 j’ai perdu le titre de Meilleur Ouvrier de France et je sais pourquoi... Je n’ai pas été assez à l’écoute des questions, d’une question surtout, et j’ai eu une très mauvaise note, qui était justifiée. Et donc c’est une expérience qui a été douloureuse sur le moment, mais je pense qu’elle a été bénéfique. J’ai beaucoup travaillé pour m’améliorer, notamment pour m’exprimer en public. Et cela m’a permis d’arriver au Concours beaucoup plus serein en 2007, mieux préparé, et d’enchainer ensuite avec la victoire du Meilleur Ouvrier de France en 2007, la victoire du Master of Porto en 2010 et les 2 titres à Cuba en 2013 et 2014. Je suis le seul français et européen à avoir gagné et je suis passionné par Cuba, donc c’est une fierté !
"On oublie les qualités des vins de Sauternes, mais c’est fabuleux, tu peux faire des accords mets vins superbes. Quelle diversité !"
Tant que nous sommes à Cuba, un super accord vin cigare ?
On oublie le vin rouge, même si certains me diront que j’ai tort, pour moi les tanins d’un cigare et les tanins de rouge sont incompatibles. Ça sur créé de l’amertume.
Mais à Bordeaux vous avez une appellation qui est extraordinaire, qui est Sauternes. Et toute la région des liquoreux. On oublie les qualités des vins de Sauternes, mais c’est fabuleux, tu peux faire des accords mets vins superbes. Quelle diversité ! Des vins avec de l’opulence, de la richesse. D’autres avec le côté agrume, un peu plus tendus. Il y a des vins avec un élevage sous-bois, et ceux plus sur le fruit, la gourmandise, l’instant T. je dirais donc : à son cigare, son vin de Sauternes (rires). J’ai gagné la première fois avec un Cohiba Behike 56 et un Château d’Yquem ; c’est le plus beau cigare du monde avec le plus beau liquoreux du monde.
Un mot sur le Concours du Meilleur Sommelier du Monde qui va se dérouler en France en février prochain ?
Cela m’inspire de la fierté ! Mais aussi et surtout de la fraternité. Recevoir le monde entier en France, quel bonheur pour toute la profession et les amoureux du vin ! On a une chance inouïe d’être dans un pays où le vignoble est roi, où les gens aiment le vin, et où le vin fait partie de notre identité et de notre patrimoine culturel. Bien sûr que nous avons tous envie que Pascaline* gagne, c’est certain (*ndlr : Pascaline Lepeltier représentera la France lors de ce concours) ! Mais ce que j’estime au-dessus de tout, c’est cette communion entre tous les sommeliers qui vont arrivés de 60 pays. Cet événement doit faire rayonner le savoir-faire français, mais aussi le savoir-être français. Je suis tout simplement fier et heureux (sourires).