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Carnet de vendanges 2021 à Margaux
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Carnet de vendanges 2021 à Margaux

A l’occasion des vendanges à Margaux, nous sommes allés arpenter les routes de l’une des appellations les plus célèbres du monde. Un voyage royal à la découverte de châteaux mythiques bien décidés à regarder vers l’avenir.

JOUR 1

 Bienvenue dans le vignoble le plus célèbre du monde ! D’emblée Margaux remet l’église au centre du village. Une pancarte indique au visiteur néophyte qu’il n’est pas n’importe où mais bien au sein d’une appellation légendaire. Partis de Paris aux aurores en TGV, nous pénétrons à 11h du matin au cœur du mythe. La première étape du périple se dévoile sous un ciel changeant, au bout d’un chemin en terre qui serpente entre des hectares de vignes. Il y a presque 200 ans, le négociant John Lewis Brown implanta ici son château. En apercevant la grande maison bourgeoise de style Tudor, on pourrait se croire à Oxford ou Cambridge. Pourtant le drapeau qui flotte devant la propriété laisse peu de place au doute. Cantenac Brown est une principauté écossaise en plein cœur du Médoc. Le premier propriétaire des lieux est issu du clan des Brown de Colstoun dont la devise est « floreat majestas », « que la fleur fleurisse » en VF. Désormais, c’est au tour de José Sanfins le Directeur Général du Château de faire prospérer cette devise. En cette période de vendanges, l’homme a du pain sur la planche et un ascenseur émotionnel à gérer. Le week-end précédent, la météo qu’il consulte régulièrement annonçait jusqu’à 20 millimètres de précipitation. Finalement, il n’en est tombé que 7. Les équipes ont pu s’affairer entre les rangs de cabernet sauvignon.

 

Un bout de terre et des Hommes dessus

 

Les vendanges à Cantenac Brown, José Sanfins en a vécu quelques-unes. Il est arrivé ici en tant que Directeur Technique en 1989. Il a 26 ans quand Jean-Michel Cazes fait le pari de lui confier les clés de ce lieu magique. José a grandi sur l’île de Pâtiras en face de Pauillac, passé son enfance au milieu des vignes où sa famille d’origine portugaise travaillait. L’homme qui confie avoir « l’impression d’être né en sachant rouler une barrique » connait le Médoc comme sa poche, l’aime comme personne : « c’est un endroit béni des Dieux» s’émerveille t’il.

Pourtant, le millésime a été difficile à apprivoiser, la pluie n’a pas ménagé les vignes cet été, et le soleil n’a été que peu présent. Pas de quoi effrayer le Directeur Général néanmoins : « Quand la nature donne tout, le travail est plus aisé. C’est sur les millésimes compliqués que l’on ressent la patte de l’homme. Les millésimes que j’aime le plus ne sont pas forcément les plus grands, mais ceux où on a tout donné ».

Il a une affection particulière pour le millésime 2013, se souvient avec émotion d’un week-end où il avait fallu profiter d’une accalmie pour vendanger avec tous les bras disponibles dans la région : « tout le monde était mis à contribution indépendamment de son poste, on avait rentré des raisins jusqu’à minuit. 14 hectares rentrés en 2 jours ! c’était incroyable ! » remet-il.

Cet ancien rugbyman amateur aime l’esprit d’équipe, le sacrifice, quand les hommes ne font qu’un et avancent ensemble vers un but commun. C’est ainsi qu’il envisage le métier. Pour lui, un terroir, « c’est un bout de terre, et des Hommes dessus ». Charge à eux de bonifier les fruits que leur offre la terre, d’engendrer par leur travail acharné, leur savoir technique et leur sensibilité, un produit extraordinaire.

Mais pour l’heure, il est temps de passer à table pour une pause bienvenue, un déjeuner de vendangeurs dans la salle à manger du Château. Au menu, soupe de poisson revigorante et rôti de porc, accompagné d’un millésime 2005 de Cantenac Brown, sélectionné avec soin par Pauline Fradin. José évoque ses souvenirs alors que le soleil perce généreusement entre les nuages. Dehors les moutons, (de race écossaise évidemment !) s’aventurent près des fenêtres. Ils sont là depuis quelques années et tondent paisiblement la prairie enserrée entre le parc et la façade du Château.

A Margaux souffle un vent nouveau. Depuis 2013, l’appellation s’est inscrite dans une démarche collective : Margaux, Terroir de biodiversité. L’objectif ?  Préserver et restaurer la diversité de la faune et des paysages. Ce sont 25 Propriétés qui se sont engagées dans plus de 350 projets d’actions. 85% de la surface de l’appellation est concernée. Dans le sud du Médoc, on a décidé d’être pionnier, de faire évoluer les pratiques et de favoriser l’émergence d’une viticulture innovante et respectueuse de l’environnement. 13% de la surface de l’appellation travaille déjà en bio ou en biodynamie. Le Château du Tertre à quelques kilomètres de là s’y convertit progressivement. Quant au Château Dauzac ; il s’est engagé depuis plusieurs années déjà dans une démarche de biodynamie intelligente « qui va plus loin que la certification », dixit Laurent Fortin. Nous aurons l’occasion de le constater plus tard.

 

Nouveau cuvier pour très grands vins

 

Pour le moment, il est l’heure de faire une agréable promenade digestive autour du Château. Devant la Propriété, nous empruntons un sentier qui était jadis la route par laquelle les voyageurs arrivaient à Cantenac Brown. Avec un peu d’imagination, on verrait presque les illustres visiteurs arriver ici en calèche et s’émerveiller devant la beauté des lieux.

Puis, nous nous aventurons dans la forêt, dont un immense séquoia marque l’entrée. Bientôt les visiteurs pourront déambuler à leur guise dans le parc, ils auront l’opportunité d’acheter une bouteille et de la déguster dans ce cadre enchanteur. Ils pourront également découvrir le dernier grand projet de Cantenac Brown dont José Sanfins parle avec beaucoup d’enthousiasme.

Ce projet c’est la réalisation d’un nouveau chai en terre crue de dont la voute s’élève à 12 mètres de haut ! Pour cela, José Sanfins et Tristan Le Lous, le propriétaire, ont fait appel à l’architecte Philippe Madec qui utilisera la technique ancestrale, du pisé. Le résultat : un bâtiment écoresponsable unique au monde devrait voir le jour en 2023. José Sanfins n’en est pas peu fier : «la terre crue est parfaitement adaptée pour produire de très grands vins. Les murs en terre auront  une épaisseur d’un mètre, ce qui ne génère quasiment aucun écart de température, c’est idéal pour conserver le vin ». Comme un symbole de l’ambition novatrice d’une appellation qui ne reste jamais sur ses acquis. Nous quittons Cantenac Brown avec la promesse de revenir pour découvrir ce nouveau chai, unique en son genre.

Dans le vignoble margalais, les vendangeurs s’affairent, tandis que nous tentons une incursion infructueuse en forêt à la recherche de cèpes. Après une petite pause sur les rives de la Gironde et un café vite englouti à Arsac, nous nous dirigeons vers la prochaine étape de notre périple, le Château du Tertre.

Un grand portail ouvre sur un chemin en terre. Au bout, une grande propriété bourgeoise domine un vignoble de 52 hectares d’un seul tenant qui jouit d’une superbe exposition. C’est le point culminant de l’appellation. En entrant dans le Château, nous sommes émerveillés par l’atmosphère qui habite les lieux. La décoration est soignée, l’ambiance chaleureuse. Nous nous installons dans une grande chambre à l’étage. La vue sur le vignoble est imprenable. Le mobilier superbe, la toile de Jouy apporte à l’ensemble une touche spéciale. Un cocon idéal pour se relaxer avant le tour du propriétaire et le diner avec Cynthia Capelaere, la Directrice du Château du Tertre.  Nous dégustons un très agréable verre de Tertre Blanc tandis que Cynthia nous raconte l’histoire des lieux, l’ambition d’excellence qui la guide, le travail intense en cette période de vendanges. D’ailleurs, nous allons également mettre la main à la pâte. Il est temps d’aller dormir pour être en forme

Château du tertre

JOUR 2

Un footing à l’aube entre les vignes pour bien entamer la journée ou une balade en vélo autour de la Propriété. Le réveil s’annonçait sportif mais la météo a eu raison de nos glorieuses ambitions. A la place, nous optons pour un petit déjeuner dans la magnifique orangerie, posée derrière une piscine majestueuse de 52 mètres de long. La baignade sera pour notre prochaine visite ! Il s’agit d’enfiler des bottes et d’aller dans les vignes.  Il est 8 heures 30 du matin, la pluie s’abat sans discontinuer sur le margalais et les vendangeurs s’affairent déjà. Les coupeurs taillent les grappes de Cabernet Sauvignon et remplissent les hottes des porteurs. Ceux-ci apportent la récolte dans les remorques des tracteurs qui multiplient les allers-retours vers la cour de la Propriété et la table de triage.

 

Vendanges pluvieuses, vendanges heureuses

 

Dans les vignes, c’est Romain le chef de culture qui donne les consignes. Avec sa salopette Guy Cotten jaune, il est équipé comme un marin breton prêt à affronter une tempête : « les vendanges sans la pluie, ça ne serait pas vraiment les vendanges ! » plaisante-t-il avant de nous confier un sécateur et un rang à vendanger. A côté de nous, on s’affaire en discutant des dernières séries Netflix. Les mains des vendangeurs sont agiles, coupent avec une dextérité et une vitesse surprenante, alors que nous peinons à suivre le rythme. Après une demi-heure de vendange, le dos courbé, les bottes maculées de terre, nous remplissons la hotte d’un des porteurs qui avance avec 21 kilos de raisin sur le dos puis remontons à pied vers le chai et nous dirigeons vers la table de triage, où des femmes s’occupent avec talent à séparer les dernière feuilles des grappes de raisin.

 

Après une matinée de travail, c’est le déjeuner des vendangeurs, une tradition à laquelle on ne déroge pas dans le Médoc ! Même s’il est de l’avis de tous, de plus en plus difficile de trouver de la main d’œuvre, cela reste un moment spécial, aussi important que convivial. Sous la grange, une grande table est dressée. Cynthia échange avec les équipes du Château. Le déjeuner, c’est aussi le moment où l’on fait le bilan de la matinée, où l’on prend le temps de discuter de la suite, on envisage déjà les parcelles qu’il faudra récolter le lendemain pour que les raisins arrivent au chai à maturité parfaite. En buvant son café, Romain déplie un plan parcellaire de la Propriété comme un général exposerait un plan de bataille. Tout est pensé rigoureusement, millimétré. C’est l’engagement et la précision nécessaire pour produire 200 000 bouteilles de vin rouge. Patient, il prend le temps d’expliquer aux néophytes, que nous sommes, l’encépagement du vignoble. Là, du cabernet sauvignon, ici du merlot, là du cabernet franc.

Parmi les équipes du Château du Tertre, il y a des gens originaires des quatre coins de France et du Monde, venus dans le Médoc pour apporter avec eux leur savoir et leur culture. La maître de chai est alsacienne. Il y a autour de la grande table de banquet, une grecque, un australien, un irlandais. Les anciens propriétaires étaient néerlandais. Une manière de rappeler que le Château du Tertre a toujours été une terre d’échanges. Que l’innovation et le multiculturalisme font partie de l’ADN de l’endroit depuis que l’industriel d’origine irlandaise Pierre Mitchell y a construit un Château et formé un domaine viticole au XVIIIème siècle. Mitchell était en avance sur son temps. Ce verrier aurait créé le Jéroboam mais aussi la bordelaise, des bouteilles toujours mythiques 300 ans plus tard. C’est cet esprit avant-gardiste qui guide aujourd’hui ces successeurs

14h30. C’est l’heure de reprendre la route, avec quelques bouteilles de Tertre Blanc, et un grand vin millésime 2015 dans le coffre de la voiture pour rejoindre la dernière étape du voyage. Un Domaine lui aussi en plein renouveau. Lui aussi classé Grand Cru en 1855. Le Château Dauzac, posé à l’extrémité sud-est de l’appellation, sur les rives de la Gironde. Le cœur de Dauzac bat en jaune et noir, les couleurs du domaine sont omniprésentes comme pour rappeler son identité. Nous sommes immédiatement accueillis par Laurent Fortin, le gérant des lieux. Un homme dont la culture franco-américaine surprend parfois dans le bordelais. Lui l’annonce haut et fort : « Bordeaux est sophistiqué mais ne peut pas être pédant. Il faut que nous nous adressions aujourd’hui à une nouvelle clientèle comme les millenials ».

 

Tradition et avant-garde

 

Pour cela, Laurent Fortin a engagé Dauzac (depuis 2016) dans une dynamique de biodynamie et de biodiversité. Comme à Cantenac-Brown, les moutons paissent dans le parc. Les aigrettes et les hérons sont des visiteurs réguliers du Domaine. Passionné d’apiculture, Laurent Fortin a même fait installer 18 ruches et le Château produit son propre miel. Quant au vin, il est certifié vegan, et pour combattre le mildiou, on a remplacé le cuivre par les algues.  Avec ses équipes, Laurent se démène aussi pour moderniser l’image de Dauzac. Dans le chai, des affiches reprenant les codes des voyagistes ou des compagnies aériennes du milieu du siècle font élégamment voyager Dauzac dans le monde entier. A Moscou, New York ou au Mont Saint-Michel. Le message est clair. Dauzac est ouvert sur le monde et se doit d’être innovant : « l’innovation fait partie de notre ADN. L’histoire de Dauzac est faite d’hommes visionnaires et d’idées nouvelles. Comme par exemple, un ancien propriétaire, Jean-Jacques Bernat, qui était glacier industriel et a eu l’intuition de la thermorégulation en utilisant des pains de glace dans les cuves pour ralentir la fermentation ». Désormais l’innovation passe par l’utilisation de cuves à double douelle transparente mais aussi par une nouvelle manière de penser.

 

Laurent Fortin tient à nous présenter un projet symbolique de l’état d’esprit de Dauzac. Au volant de son véhicule, il s’aventure dans les vignes, avant de s’arrêter devant une parcelle où les vignes semblent chétives : « elles ne le sont pas ! Mais elles n’ont pas de portes greffes. Ce sont des vignes francs de pied. Sur une Vigne franc de pied, les racines profondes se développent avant la surface foliaire » explique-t-il. La parcelle fait un hectare. Elle faisait partie, jusqu’à son acquisition en 2014, du parc d’une gentilhommière. C’est ici, sur ce terroir à l’abri des pucerons et du phylloxéra que Laurent Fortin et ses équipes ont décidé de replanter en 2014 des francs de pied issus des plus belles vignes du Château pour assouvir une ambition majeure : redécouvrir le goût originel du Cabernet Sauvignon. Un goût oublié depuis l’arrivée du phylloxéra en 1867.

L’an passé, ses équipes ont fait une vendange test et Laurent Fortin a découvert quelque chose de totalement nouveau : «c’est un goût qu’on ne connait pas. Il y a une typicité propre au cabernet sauvignon, mais le goût et couleur se rapprochent du pinot noir » confie-t-il. Cette année 2021, marque la vendange du 1er millésime Franc de Pied de Château Dauzac, destiné à être commercialisé. La cuvée dédiée verra le jour en 2023 après deux ans d’élevage en amphore, dans le plus grand respect des traditions ancestrales. Une preuve de plus qu’à Margaux, l’innovation et la tradition ne sont jamais contradictoires : « la tradition d’aujourd’hui, c’est l’innovation d’hier ! » termine Laurent Fortin.  C’est peut-être bien cela la morale de ce voyage magique à Margaux. Un mythe peut regarder avec sérénité vers l’avenir, à condition d’être toujours précurseur. Les hommes et les femmes de l’appellation l’ont bien compris. Nous aussi.

 

Arthur Jeanne

 

 

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